Au mois de mai, lorsque la nature renait et que s’épanouit le Printemps, la France commémore sa Libération et la Victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie le 8 mai 1945.
A la Libération de la France ont contribué, outre les Troupes Alliées (D Day : 6 juin 1944 Débarquement en Normandie), mais aussi et pour une large part : les maquisards de la Résistance française et les Troupes d’Infanterie coloniales françaises ( Campagne d’Italie 1943-1944, Débarquement en Provence 14-15 août 1944).
8 mai 1945 en France
Pendant que le Général de Gaulle célébrait la victoire à l’Arc de Triomphe de Paris et prononçait un discours de circonstance, de l’autre côté de la Méditerranée, à Sétif les défilés de fête de ce 8 mai 1945 tournent au drame sanglant pour les populations "roumis et indigènes".
Dans toutes les autres villes d’Algérie, grâce à l’intelligence et au sang-froid des uns et des autres et malgré la présence de pancartes politiques et de drapeaux vert et blanc, tout ce passe bien.
A Sétif, il suffira d’une provocation pour "mettre le feu aux poudres" dans le Constantinois, et déclencher des émeutes durement réprimées par l’Armée française, ses Tirailleurs sénégalais et les milices de colons armés jusqu'au 22 mai, date de la reddition des tribus (photos d’archives 1 et 2 ).
Ensuite se poursuivront arrestations, jugements, condamnations et exécutions...
Il est délicat d’évoquer ces cruels événements qui ont meurtri les communautés autochtones et coloniales à cette époque. La véritable ampleur de la répression a été longtemps occultée, pour ne pas dire niée, tant par les Autorités françaises que par les colons. Depuis l’ouverture des Archives, des historiens algériens et français ont pu rétablir la réalité des faits. Il faut donc leur donner la parole, ainsi qu’aux témoignages français recueillis en mai 1945 et aux survivants Algériens qui ont participé à cette manifestation de Sétif qu’ils voulaient pacifique².
A chacun de se forger son opinion dans la mesure où l’intéresse cette tragédie, partie intégrante de l'Histoire de France et de l'Histoire de l'Algérie. Ce drame a signé le divorce entre les deux populations, prélude de la Guerre d'Indépendance algérienne qui éclatera le 1er novembre 1954...
8 mai 1945 en Algérie - Sétif- Kherrata - Guelma
Les Algériens d’alors, que l’Administration coloniale française appelait Indigènes (Cf. Code de l’Indigénat), espéraient ce jour-là faire entendre leurs voix, leur aspiration à une justice, la même pour tous – Roumis ou Indigènes – Dans toutes les villes d’Algérie furent organisées des manifestations pacifiques par les deux communautés : le port de pancartes, banderoles à caractère politique, de drapeaux des partis d’opposition étaient interdits à la population musulmane qui s’agitait depuis quelque temps en réclamant la libération de Messali Hadj, le leader du PPA.
C’est jour de marché ce mardi à Sétif : les gens du Bled affluent. Une foule nombreuse s’est rassemblée pour défiler. En ce jour, où partout on célèbre la Libération française et la victoire, la communauté musulmane d’Algérie croit (naïvement) que le sang versé par les siens, ces milliers de soldats indigènes morts pour la France sur tous les champs de bataille des deux dernières guerres, l’autorise à demander au moins l’égalité de droits avec les communautés française et européennes vivant dans leur pays en Algérie… Et pourquoi pas, à terme, l’autonomie et l’indépendance…
Las, la déconvenue sera cruelle pour tout le monde : un jeune scout musulman puis les Européens de Sétif, en seront les premières victimes… Cela entraînera des émeutes sanglantes dans toute la région du Nord-Constantinois, suivies d’une féroce répression encore plus sanglante : l'écart entre le nombre des victimes dans les deux communautés en témoigne¹.
Comment la manifestation a-t-elle dégénéré en émeute ce 8 mai à Sétif ? Voici un extrait d'un article du site Herodote :
"Le matin du 8 mai, une nouvelle manifestation survient à Sétif aux cris de «Istiqlal [Indépendance], libérez Messali". Les militants du PPA ont la consigne de ne pas porter d'armes ni d'arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n'en tient pas compte et brandit le drapeau au cœur des quartiers européens.
La police se précipite. Le maire socialiste de la ville, un Européen, la supplie de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout. La foule, évaluée à 8.000 personnes se déchaîne et 27 Européens sont tués dans d'atroces conditions. L'insurrection s'étend à des villes voisines, faisant en quelques jours 103 morts dans la population européenne.
La répression est d'une extrême brutalité. L'aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées..."
Qui a tué le maire socialiste de Sétif, Édouard Deluca retrouvé agonisant ? L’écrivain algérien Kateb Yacine (15 ans à l’époque) défilait avec ses camarades, il est formel : un policier. "Mais d’autres témoignages désignent des hommes de main des Vichystes qui prennent leur revanche". D’aucuns prétendront que les coups de feu sont partis de la foule…
Quoiqu’il en soit, Chaâl Bouzid , le jeune scout porte-drapeau, est la première victime de la répression ; on peut voir aujourd’hui, en centre ville à Sétif, la plaque commémorative de la mort de ce jeune homme considéré en Algérie comme un héros.
Sur son site "Lettres de l’Archipel", Jean-Marie Lamblard, faisant appel à divers témoignages, a écrit en 2009, une relation bien documentée de ces événements. L’article intitulé " SÉTIF, MASSACRE EN ALGÉRIE FRANCAISE, 8 MAI 1945" est douloureusement passionnant.
Il faut maintenant donner la parole aux témoins de ces tragiques événements.
Ce sera l'objet de deux prochains articles :
"Sétif 8 mai 1945 - Témoignages "
"Sétif 8 mai 1945 - Témoignages (suite)"
NOTES
1 - Selon des sources officielles françaises relevées en 1945, les pertes côté européen sont de 102 à 113 victimes et deux fois plus de blessés pendant la durée des émeutes dans toute la région de Sétif : ces chiffres sont sûrs .
800 musulmans * auraient été assassinés pour leur francophilie
Le commandement militaire aurait dénombré 2628 tués parmi les musulmans.
En s’en tenant seulement à ces chiffres de l’époque, il y aurait eu presque vingt cinq fois plus de morts victimes de la répression que de victimes des émeutes…
* Ce chiffre n’est cité - du moins à ma connaissance - que par François d’Orcival dans Valeurs Actuelles ; ce journaliste ne cache pas que : " Conformément aux consignes reçues de Paris, la répression est sans pitié. Des villages situés autour de Sétif, Guelma et Kherrata, sont rasés. "
→ Selon le rapport du Général Paul Tubert qui n’a pu enquêter que deux jours sur place : "Officiellement, il y eut 102 morts européens, essentiellement dans la région de Sétif, et 1 165 morts algériens"
→ Dès l’origine, ces chiffres ont été contestés par les Algériens qui retiennent actuellement le chiffre de 45 000 morts*, et par des témoins étrangers.
Par ailleurs, les archives françaises et britanniques font état de 6 000 à 15 000 personnes victimes de la répression.
Quelque soit le bilan réel, ces chiffres témoignent d’une féroce répression.
* "Les historiens estiment que ce chiffre (45 000) englobe non seulement les morts, mais également les blessés, et les emprisonnés dont un grand nombre ne survivra pas aux conditions de détention." Cf. Lettres de l’Archipel
2 - Les survivants algériens, parmi lesquels certains disent avoir participé a la manifestation de Sétif, affirment le caractère pacifique, mais politique, du défilé qui a dérapé.
>>> Cliquer sur les photos pour les agrandir et lire les légendes.