In Memoriam
Pendant que, partout en France métropolitaine comme dans les Colonies d'Outre-mer, on fêtait dans l'allégresse la victoire sur les nazis et la paix retrouvée, ce 8 mai 1945 à Sétif,en Algérie,se déroulait un drame horrible ; ce funeste événement fut suivi "d'épouvantables massacres" dans cette région, comme l'a reconnu le 27 avril 2008 Bernard Bajolet, l'ambassadeur de France en Algérie, lors de sa visite à Guelma.
Après avoir prononcé à l'Université du 8 mai 1945 un discours, qui a fait date, l'ambassadeur de France s'est rendu sur les lieux des sanglants événements du 8 mai 1945. Il a aussi déposé une gerbe au monument de la Carrière en souvenir des victimes musulmanes ainsi qu’au cimetière chrétien.
Les soldats des troupes africaines de l'Armée française, qui venaient de se battre victorieusement au service de la France, étaient démobilisés à Toulon pendant la première semaine du mois de mai 1945. Nombreux étaient originaires de Sétif et des environs : ils attendaient leur retour au pays, dans la joie de retrouver leurs familles, leurs maisons, leurs douars... Hélas pour beaucoup d'entre eux, ce fut la mort de leurs parents, enfants, amis... la destruction de leurs lieux de vie, la désolation qu'ils découvrirent à leur arrivée chez eux... Stupéfaction, douleur et larmes où quelques années plus tard (1954), prendra source la Guerre d'Indépendance d'Algérie "pudiquement" nommée par la France "les événements d'Algérie"...
Aux Français et Algériens, témoins de ces crimes affreux qui ont signé le divorce entre les communautés vivant en Algérie, aux historiens, de s'exprimer maintenant sur cette page d'Histoire commune à l'Algérie et à la France.
Les premiers témoignages officialisés sont ceux que recueillera l'Administration coloniale de la part des habitants européens de Sétif, des colons de la région et des militaires. Ils constitueront jusqu'en 2005 la vérité officielle pour l'État Français...
En 1948 est publié un livre, écrit par Eugène Vallet, qui fera longtemps référence :
Un drame algérien
la vérité sur les émeutes de Mai 1945
A cette époque, Eugène Vallet était Président du Conseil général de Constantine.
Son livre reprend l’étude (d.5) qu’il avait adressée au Général Juin après le drame en 1945 : cette étude figure à la rubrique 1 H 1728 des Archives (2e BUREAU DE L’ÉTAT-MAJOR INTERARMÉES, page 139).
C'est la première et seule analyse détaillée des événements qui ensanglantèrent Sétif et sa région.
Son récit, celui d’un notable français d’Algérie, haut fonctionnaire de l’Administration coloniale, donne une vision unilatérale de ce drame, version partisane qui ne fait aucune place aux témoins indigènes.
Sa dédicace reflète la mentalité européenne de l’époque :
En hommage ému au souvenir de ceux
qui sont morts pour donner à la France le
plus bel empire qui soit...
E. V.
Eugène Vallet n’est pas un témoin direct, mais son livre présente un grand intérêt de par la fonction de son auteur dans l'Administration. La préface "Pro Memoria" analyse sa vision de la situation la colonie française d'Algérie et des graves évènements qui l'ont endeuillée...
Voici, publiée page 16, la note officielle communiquée à la Presse par l’Administration le 18 mai 1945, dix jours après l’émeute de Sétif qui aurait duré environ deux heures, faisant 22 tués et 48 blessés parmi la population européenne :
« Le 8 mai, un cortège de musulmans devait partir de la Mosquée de la gare, vers 9 h. 15, pour se rendre au monument aux morts. L'autorisation avait été accordée, sous réserve expresse que la manifestation n'aurait pas un caractère politique, et que le défilé s'effectuerait sans pancartes ou banderoles. Cette promesse ne fut pas tenue. Des panneaux portant des inscriptions telles que : Libérez Messali ! Nous voulons être vos égaux ! furent exhibés.
Les manifestants, au nombre de 8 à 10.000, déferlèrent dans la rue Clemenceau et se heurtèrent à la police, à hauteur de l'Hôtel de France. Aussitôt des coups de feu claquèrent et les passants furent agressés et abattus à coups de pistolets, de couteaux et de bâtons.
« La police et la gendarmerie réagirent vigoureusement, aidées par la troupe alertée, dont l'arrivée sur les lieux fut presque immédiate.
« Les manifestants, repoussés, continuèrent toutefois à attaquer les Français isolés dans les différents quartiers de la ville, et notamment au marché, où des émeutiers, qui obéissaient sans doute à un mot d'ordre, assassinaient tous les passants qu'ils rencontraient. »
« Vers onze heures, l'ordre fut rétabli et la force publique commença les opérations de nettoyage, effectuant les perquisitions et les arrestations qui s'imposaient.
« Nombre des victimes : 22 tués, dont M. Deluca, président de la Délégation spéciale de Sétif ; Vaillant, ex président du Tribunal civil, Raynal, maréchal des logis de gendarmerie, 48 blessés. »
« A l'appui de cette note, précise dans sa sobriété, nous pouvons donner les renseignements suivants qu'a bien voulu nous faire parvenir un vieux Sétifien, dont l'esprit pondéré et le témoignage ne sauraient être mis en doute… »
Suit le récit (p. 17 à 22) très détaillé, selon la relation de l'habitant français de Sétif cité dans la note officielle ci-dessus.
L’accent est mis sur l’entière responsabilité des manifestants dans le déclenchement de l’émeute et sur leur sauvagerie... Mais que peut-on attendre d'une foule qui, manifestant au début dans le calme, voit l'un de ses jeunes scouts tué par le tir d'un policier ? D'autres coups de fusil claquent... C'est la confusion, la colère, et bientôt l'émeute et l'irréparable. Selon les Autorités coloniales, ce soulèvement n’aurait pas été accidentel, mais planifié…
Il n’est nulle part question de Chaâl Bouzid, le jeune scout première victime de cette tragédie, ni des victimes indigènes des vigoureuses réactions des policiers, gendarmes et militaires et de leurs "opérations de nettoyage".
Eugène Vallet rend compte des évènements survenus à Sétif et sa région durant le mois de mai 1945 ; puis il fait part de ses réflexions sur ce drame qui selon lui "projette un jet de lumière sur l'esprit collectif qui anime la masse indigène dans la plupart de nos régions algériennes." qui " …n'a pu se maintenir dans les cœurs, s'affermir, se généraliser que parce que nous sommes restés indifférents à la politique sournoise, à la propagande nocive que l'on peut dénoncer, avec raison sans aucun doute, comme venant de très loin, mais dont les fourriers ont été, dans la plupart des cas et la plupart des régions, ceux que nous avons élevés par l'instruction, ou la faveur, à des situations sociales qu'ils n'auraient pu atteindre sans nous.", qu'il illustre par un exemple dont il ne donne aucune référence : "Un jeune homme va au marché…"
... Qui est ce jeune homme ? À quel endroit ? À quelle date ? (Cf. p. 152-153).
Toutes les victimes européennes sont nommées, leurs assassinats décrits, les victimes indigènes ne sont pas citées. Il est cependant fait mention de jugements d'émeutiers, dans les mois qui suivent, par le Tribunal militaire de Constantine : en général la peine de mort est prononcée (Cf. p. 23-27)…
L’auteur décrit les « nettoyages » de Kerrata (Cf. page 99) ; cette ville est située dans une région très accidentée et, écrit-il sans autre précision : " On liquide les dernières résistances des rebelles dans les gorges. " (Cf. p. 104)
Il confirme l’arrestation de personnalités algériennes ainsi que la présence de milices civiles aux côtés de l’armée, entre autres à Djidjelli :
"La réaction a été ce qu'elle devait être, énergique et calme à la fois. Le 10 mai, les Français de Djidjelli étaient munis de fusils Gras et de cartouches. Le 11, une milice civile fonctionnait en ville. Elle montait la garde, avec les Sénégalais. Le conseiller général Benkhellaf était arrêté, en même temps que ses collègues a,l'assemblée départementale : Le Dr Saadane, de Biskra, et Ferhat Abbas, de Sétif. Ces trois personnalités étaient considérées comme les chefs du P.P.A. organisateur de l'agitation ." (Cf. p. 133 à 137)
Dans les derniers chapitres, et les Annexes (p. 277), Eugène Vallet livre ses convictions sur la situation et l'avenir de la colonie : Cf. p. 234 à 274 (Tout est calme - Les leçons du passé - En matière de conclusion - Vers l'irréparable - Octobre 1947).
L'avenir, tel que l'envisageait Eugène Vallet, était scellé : l'avenir appartiendrait, dès lors, aux Algériens qui combattraient pour l'Indépendance de leur pays...
En mai 1945, le général Henry Martin (1888-1984), commandant du 19ème corps d'armée est chargé de la coordination des forces en Afrique du Nord et donc de la répression menée sur le terrain par les troupes du général Duval (1894-1955). Son rapport est versé aux Archives, ainsi que celui du général de gendarmerie Paul Tubert (1886-1971). Ce dernier est nommé, à la tête de la Commission d'enquête sur les événements du Constantinois, par le gouverneur Général Chataigneau. On peut lire sur le site d’Henri Pouillot ( qui est H. Pouillot ?) comment s’est déroulée la mission de Paul Tubert très vite écourtée...
Sur le bilan de ces heures tragiques Cf. les Notes
de l’article "8 mai 1945 – Commémorations"
En 1971 le colonel Adolphe Goutard, historien militaire, fait un récit circonstancié de ces événements dans le N° 196 de Historia magazine d’octobre 1971. Son "rapport" a été repris en 2010 sur plusieurs sites Pieds-noirs qui en donnent l’intégralité : mdame.unblog, Drak, Echodupays, etc.
On retiendra sa conclusion dans laquelle il cite le général Henry Martin :
"Dans sa lettre du 16 mai 1945 au général Henry Martin il écrivait :
« L’intervention immédiate a brisé la révolte, mais il n’est pas possible que le maintien de la souveraineté française soit basé exclusivement sur la force. Un climat d’entente doit être établi. »
Et dans une lettre que sa famille a bien voulu me communiquer, il déclarait aux hautes autorités de Paris : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. Il faut faire des réformes sérieuses. »
Mais, l’orage passé, Paris s’endormira et rien de sérieux ne sera fait pour satisfaire les légitimes aspirations des musulmans.
Et cette paix, ainsi promise durera presque dix ans – exactement neuf ans et demi - jusqu’à la Toussaint de 1954… marquée par les premiers attentats, prélude à l’insurrection.
Colonel Adolphe GOUTARD "
Jean-Pierre Peyroulou, Membre de l’équipe de Paris du CEMAf (Centre d'étude des mondes africains), Docteur en histoire (EHESS, École des hautes études en sciences sociales) a exposé lors d’un colloque organisé par la Ligue des droits de l’Homme, le 7 mai 2005 à Paris, les conclusions de ses recherches sur les massacres du 8 mai 1945 à Guelma: on peut les lire ICI. Il met en évidence le rôle actif du sous-préfet de Guelma André Achiary et des milices, de tristes mémoires.
•Du même auteur lire : "La milice, le commissaire et le témoin : le récit de la répression de mai 1945 à Guelma " sur le site IHTP (Institut du temps présent) du CNRS.
Cet article est la suite de :
D'autres témoignages et réactions dans le prochain article...
Témoignages de survivants algériens, d'un journaliste américain présent à Sétif, et d'un diplomate britannique en poste en Algérie à cette époque.... Des réactions qui se prolongent de nos jours encore, tant demeure vive la mémoire de ces événements sanglants dont la blessure n'est pas refermée....
"Sétif 8 mai 1945 - Témoignages (suite) "