25 décembre 1847 : l'Emir Abd El-Kader quitte le port de Mers-el-Kébir et sa patrie, accompagné de 45 membres de sa famille et de 57 personnes de son entourage qui ont choisi de partager son exil. Malgré l'engagement pris par Lamoricière de les conduire directement à Alexandrie ou Saint-Jean -d'Acre, l'Emir et sa suite sont dirigés vers Toulon sur ordre du gouverneur. D'ores et déjà, ils sont considérés comme des prisonniers et confinés au lazaret* de la presqu'île de Cepet pendant dix jours d'angoisse.
Pendant ce temps malgré quelques voix qui s'elèvent, dont celle du ministre de la guerre Trezel, en faveur de l'exil en Orient souhaité par l'Emir Abd El-Kader et promis par les Autorités françaises lors de sa reddition... c'est le "Vae Victis" qui l'emporte...
Refus formel de ratifier la promesse du Général Lamoricière... Pour l'Emir Abd El-Kader, qui lui, en homme d'honneur n'a qu'une parole... l'incompréhension est totale ; sa colère, qu'il réfrène, se mue en résignation.
à Saint-Jean-D'Acre ou Alexandrie, d'où je gagnerai la Mecque. Les Arabes respireront et moi aussi, j'aurai trouvé le repos... Les honneurs, les biens, les trésors de ce monde ? Tu sais, Daumas, si je les méprise... Je te répète, je n'ai pas d'autre désir que d'aller à la Mecque, lire les Livres Saints, adorer Dieu et m'y faire enterrer après avoir visité Médine, le tombeau de notre seigneur Mohammed.
Mon rôle est fini. Je vous ai donné ma parole. Je ne vous combattrai plus..."
Informé du refus du gouvernement français d'honorer la parole donnée, l'Emir s'exclamera : " Je ne puis le croire. Le Maréchal Bugeaud ne m'at-il pas écrit plusieurs fois pour m'offrir de me conduire à la Mecque si je voulais cesser la lutte ?" pour conclure : " Mais à quoi bon tous ces discours, ne suis-je pas dans votre main ? Vous êtes le couteau et moi la chair. Tranchez comme il vous plaira, je n'ai qu'à me résigner."
L'Emir et les siens resteront prisonniers quatre ans dans des conditions souvent sordides. La chute de Louis-Philippe n'améliore en rien le sort des Algériens.
Transférés du fort Lamalgue (Toulon) au château d'Henri IV à Pau, puis en novembre 1848 à Amboise - le château a été transformé en prison - les captifs découvrent la beauté du site et les mesures de surveillance " excessives jusqu'au ridicule. Des sentinelles garnissaient les murs, des patrouilles parcouraient les rues."... Toute visite et toute correspondance sont rigoureusement interdites par Lamoricière devenu ministre de la Guerre ! Oui, ce même Lamoricière...
Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 porte au pouvoir Louis-Napoléon. Le 16 juin 1852, Louis-Napoléon se rend à Amboise pour rencontrer l'Emir Abd El-Kader et lui annoncer sa libération : "Depuis longtemps, vous le savez, votre captivité me causait une peine véritable, car elle me rappelait sans cesse que le gouvernement qui m'a précédé n'avait pas tenu les engagements pris envers un ennemi malheureux... La générosité est toujours la meilleure conseillère..."
En octobre c'est la visite de Paris, la Madeleine, Notre Dame, la Bibliothèque nationale, l'Académie de musique, l'Opéra... Il rencontre de nombreux ecclésiastiques, dignitaires et généraux, dont un de ses anciens prisonniers ; il s'entretient avec Louis-Napoléon dont il est l'un des hôtes d'honneur aux Tuileries lors de la proclamation du Second Empire le 2 décembre 1852.
Puis il regagne Amboise qu'il quitte avec les siens le 11 décembre pour Brousse (Borsa), première capitale de l'Empire ottoman, où le gouverneur de la ville leur fait un accueil chaleureux.
Napoléon III octroie une riche pension à l'Emir Abd El-Kader, qui ainsi, se sent libre à l'égard du pouvoir ottoman et se tient à l'écart de la vie publique. Il peut enfin se consacrer à la fréquentation des lieux spirituels, à la prière et la méditation, à l'étude et la poésie, au bonheur familial, à la correspondance avec avec ses amis...
Un étape sur le chemin qui le mènera à Damas où il s'installe en décembre 1855 dans le quartier El-Amara, près du sanctuaire d'Ibn Arabi, et de la magnifique Mosquée des Omeyyades...
Notes
> Sous le portrait de l'Emir une citation de Blaise Pascal, célèbre mathématicien, physicien, théologien, mystique, philosophe, moraliste et polémiste français du XVIIe siècle :
"Apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Ecoutez Dieu. "... C'est la grandeur de l'homme d'aller toujours lus loin que les limites que la nature lui impose, sous le regard et à l'écoute de Dieu. Cette citation rejoint ainsi la pensée du Maître soufi Mawlana Jalal ed-Din Rumi - mystique musulman persan du XIIIe siècle - qui proclame l'éminente dignité de l'Homme, but de la création et du projet divin.
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