par Thierry Meyssan
Un groupe international d’enquêteurs du Réseau Voltaire est actuellement en Libye. Il a pu se rendre sur des lieux de
bombardements. Disposant de la confiance des autorités libyennes, il a pu rencontrer quelques uns des dirigeants politiques et sécuritaires malgré les conditions de guerre. Leur constat est
diamétralement opposé aux images véhiculées par la presse occidentale. Thierry Meyssan livre leurs premières observations.
Réseau Voltaire | Tripoli (Libye) | 27 juin 2011
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La chambre à coucher de Mouammar Kadhafi,
bombardée par l’OTAN. L’Alliance a détruit deux
autres chambres du bâtiment, celle de son fils et
de ses petits enfants, qui sont morts. Le Guide
était absent.
© Réseau Voltaire
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Au centième jour de bombardement de la Libye, l’OTAN annonce l’imminence de son succès. Cependant, les buts de guerre n’étant pas
clairement précisés, on ignore en quoi consistera ce succès. Simultanément, la Cour pénale internationale annonce la mise en accusation du Guide Mouammar Kadhafi, de son fils Saif al-Islam et
du chef des services de renseignement intérieur, Abdallah al-Senoussi pour « crimes contre l’humanité ».
Si l’on se rapporte à la résolution 1973 du Conseil de sécurité, la Coalition des États volontaires vise à établir une zone
d’exclusion aérienne afin d’empêcher les troupes du tyran de tuer son propre peuple. Cependant, les informations initiales selon lesquelles l’armée de l’air libyenne a bombardé des villes qui
s’étaient soulevées contre le pouvoir de Tripoli ne sont toujours pas corroborées, bien qu’elles soient considérées comme fiables par la Cour pénale internationale. Quoi qu’il en soit, les
actions de l’OTAN ont très largement dépassé l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne pour se transformer en une destruction systématique des fores armées nationales, air, terre et
mer.
Les objectifs de l’OTAN sont probablement autres. Les leaders de l’Alliance ont ainsi évoqué de nombreuses fois le
renversement du « régime » de Mouammar Kadhafi, voire l’élimination physique du « frère Guide ». Les médias occidentaux évoquent des « défections
massives » des cadres de Tripoli et leur ralliement à la cause des insurgés de Benghazi, mais ils ne parviennent pas à citer de noms, sinon ceux d’hommes politiques connus de longue
date pour être favorables au rapprochement avec Washington, tel l’ex-ministre des Affaires étrangères Moussa Koussa.
L’opinion publique internationale est massivement désinformée. Washington a fait couper les retransmissions de la télévision libyenne sur
le satellite ArabSat, dont la Jamahariya est pourtant actionnaire. Le département d’État ne devrait plus être long à faire de même avec NileSat.
En violation de ses engagements internationaux, Washington a refusé un visa au nouveau représentant libyen à l’ONU. Il ne peut venir à New
York exposer son point de vue, tandis que son prédécesseur, rallié au CNT continue à occuper son siège.
La voix de Tripoli étant étouffée, il est possible de répandre n’importe quel mensonge sans crainte d’être contredit.
Rien d’étonnant donc à ce que vu de Tripoli, d’où cet article est écrit, les communiqués de l’OTAN et les
injonctions de la Cour pénale internationale paraissent irréels. L’Ouest de la Libye est paisible. À des moments aléatoires, les sirènes annoncent l’arrivée des bombardiers ou des missiles.
Suivi immédiatement des explosions qu’ils provoquent. Il est inutile de courir aux abris, d’une part parce que le temps est trop court et d’autre part, parce qu’il n’y a guère d’abris.
Les bombardements sont ciblés avec une extrême précision. Les munitions guidées touchent les bâtiments visés, et dans ces bâtiments, les
pièces visées. Toutefois, l’OTAN perd le contrôle en vol d’environ un missile guidé sur dix. Celui-là tombe à l’aveuglette. N’importe où dans la ville, semant la mort au hasard.
Si une partie des cibles de l’OTAN sont « militaires » : casernes et bases ; la plupart
sont « stratégiques », c’est-à-dire économiques. Par exemple, l’Alliance a bombardé l’imprimerie de la Monnaie libyenne, une administration civile chargée de fabriquer les
dinars. Ou encore, ses commandos ont saboté des usines qui faisaient concurrence à celles de membres de la Coalition. D’autres cibles sont dites « psychologiques ». Il s’agit
de toucher dans leur chair les dirigeants politiques et sécuritaires en massacrant leurs familles. Les missiles sont alors pointés sur les habitations privées, et plus précisément sur les
chambres à coucher des enfants des dirigeants.
L’ambiance dans la capitale et sur la côte est lourde. Mais la population reste soudée. Les Libyens soulignent
qu’aucun de leurs problèmes intérieurs ne justifie le recours à la guerre. Ils évoquent des revendications sociales et des questions régionales, comme il en existe dans les États européens,
mais rien qui doive conduire à déchirer les familles comme on est en train de le faire en imposant une partition du pays.
Face à l’OTAN, des dizaines de milliers de bourgeois aisés ont plié bagage et sont allés se réfugier dans les
pays limitrophes, notamment en Tunisie, laissant aux pauvres le soin de défendre la patrie qui les a enrichis. De nombreux commerces sont fermés sans que l’on sache s’ils doivent faire face à
des difficultés d’approvisionnement ou si leurs propriétaires ont fuit.
Comme en Syrie, la plupart des opposants politiques font bloc derrière le gouvernement pour protéger l’intégrité
du pays face à l’agression étrangère. Pourtant, certains Libyens, anonymes et invisibles, renseignent l’OTAN pour localiser ses cibles. Jadis leurs parents accueillaient les armées coloniales
italiennes, aujourd’hui ils scandent avec leurs homologues de Benghazi : « 1, 2, 3, Sarkozy arrive ! ». Chaque peuple a ses traîtres et ses collabos.
Les exactions commises par les mercenaires du prince Bandar en Cyrénaique ont terminé de convaincre bien des hésitants.
La télévision montre en boucle les œuvres des leaders d’Al Qaida en Libye, dont certains ont été libérés directement de Guantanamo pour combattre aux côtés des États-Unis. Des images
insoutenables de lynchage et de mutilations dans des villes érigées en Émirats islamistes, à la mode afghane ou irakienne, par des individus deshumanisés par les tortures qu’ils ont subis et
excités par des drogues puissantes. Il n’est pas nécessaire d’être un vieux partisan de la Révolution de Kadhafi pour la soutenir aujourd’hui face aux horreurs auxquels se livrent les
jihadistes dans les « zones libérées » par l’Alliance [1].
Rien, nulle part, à l’Ouest n’évoque une révolte ou une guerre civile. Pas de barricades, ni de blindés
dans les rues. Sur toutes les routes, les autorités ont installé des checks points tous les deux kilomètres. Les automobilistes patientent sagement, eux-mêmes attentifs à découvrir les
éléments infiltrés par l’OTAN.
Le colonel Kadhafi arme la population. Près de deux millions de fusils mitrailleurs ont déjà
été remis aux civils. L’objectif est que chaque adulte, homme ou femme, puisse défendre sa maison. Les Libyens ont retenu la leçon irakienne. Saddam Hussein avait assis son autorité sur le Baas
et l’armée, excluant son peuple de la vie politique. Lorsque le parti fut décapité et que quelques généraux firent défection, l’État s’effondra soudainement laissant le pays sans résistance et
plongé dans le chaos. La Libye, elle, est organisée selon un système original de démocratie participative, comparable aux assemblées du Vermont. Les gens sont habitués à être consultés et
responsabilisés. Ils sont donc mobilisables en masse.
De manière inattendue, les femmes sont plus déterminées que les hommes à porter les armes. Cela traduit
l’accroissement ces dernières années de la participation féminine aux assemblées populaires. Cela reflète peut-être aussi la nonchalance qui s’était emparée des cadres de cet État socialiste à
haut niveau de vie.
Chacun a conscience que tout se jouera lorsque les troupes terrestres de l’OTAN débarqueront, si elles osent le
faire. La stratégie de défense est donc entièrement conçue pour dissuader un tel débarquement en mobilisant la population. Ici les soldats français, britanniques et US ne seront pas accueillies
en libérateurs, mais en envahisseurs coloniaux. Ils devront affronter d’interminables combats urbains.
Les Libyens s’interrogent sur les mobiles exacts de l’OTAN. Je suis surpris de constater que c’est souvent
en lisant les articles du Réseau Voltaire, traduits et repris par de nombreux sites Internet et certains journaux imprimés, qu’ils ont été informés des vrais enjeux. Il y a ici, comme partout
d’ailleurs, un déficit d’information sur les relations internationales. Les gens connaissent et s’enorgueillissent des initiatives et des réalisations du gouvernement pour l’Unité africaine ou
pour le Développement du Tiers-monde, mais ils ignorent bien des aspects de la politique internationale et sous-estiment la capacité de destruction de l’Empire. La guerre semble toujours
lointaine jusqu’à ce que le prédateur ne vous choisissent comme proie.
Quel est donc ce succès que l’OTAN annonce imminent ? Pour le moment, le pays est coupé en deux. La Cyrénaique a
été proclamée République indépendante, bien qu’on s’y prépare à restaurer la monarchie, et a été reconnue par plusieurs États, à commencer par la France. Cette nouvelle entité est gouvernée
de facto par l’OTAN, mais officiellement par un mystérieux Conseil national de transition, jamais élu, et dont les membres —s’ils existent— sont secrets pour ne pas avoir à répondre de
leurs actes. Une partie des avoirs libyens a été gelée et est aujourd’hui gérée pour leur plus grand profit par les gouvernements occidentaux. Une partie de la production pétrolière est
commercialisée à des conditions défiant toute concurrence aux compagnies
occidentales qui se goinfrent. C’est peut-être cela le succès : le pillage colonial.
En lançant des mandats d’arrêts internationaux contre Mouammar Kadhafi, son fils et le chef des services de
renseignement intérieur, la Cour pénale internationale cherche à exercer une pression sur les diplomates libyens pour les contraindre à démissionner. Chacun est menacé, en cas de chute de la
Jamahiriya, d’être poursuivi pour « complicité de crime contre l’humanité ». Ceux qui démissionnent laisseront une place vacante derrière eux, sans possibilité d’être remplacés. Les
mandats d’arrêts ressortent donc d’une politique d’isolement du pays.
La Cour fait aussi de la communication de guerre. Elle qualifie Saif al-Islam de « Premier ministre de
facto », ce qu’il n’est surement pas, mais qui donne l’impression d’un régime familial. On retrouve là le principe d’inversion des valeurs typique de la propagande US. Alors que les
insurgés de Benghazi brandissent le drapeau de la monarchie Senussi et que le prétendant au trône s’impatiente à Londres, c’est la démocratie participative qui est présentée en régime
dynastique.
À l’issue de ces cent premiers jours de conflit, les communiqués de l’OTAN masquent mal la déception. Les Libyens ne se
sont pas soulevés contre le « régime », hormis en Cyrénaïque. Aucune solution militaire n’est en vue. Le seul moyen pour l’Alliance atlantique de sortir la tête haute à
moindre frais est de se contenter de la partition du pays. Benghazi deviendrait alors l’équivalent de Camp Bondsteel, la méga-base militaire US en Europe, ayant accédé au statut d’État
indépendant sous le nom de Kosovo. La Cyrénaïque serait la base qui manquait à l’Africom pour contrôler le continent noir.
Thierry Meyssan
[1] Je suppose que ces remarques peuvent
surprendre le lecteur. Le Réseau Voltaire y reviendra en détail dans de prochains articles.
Source : « Tripoli bombardé ne faiblit pas », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 27 juin 2011, www.voltairenet.org/a170637
Quelques jours avant le début de la guerre OTAN vs LIBYE, alors qu’un vent de liberté soufflait sur le monde arabo musulman, on
pouvait penser que tout le Peuple libyen se soulevait pour en finir avec son Guide suprême, le Colonel Kadhafi, Chef de la Jamahiriya que tous les médias officiels présentaient comme un tyran
sanguinaire opprimant son peuple (Cf. article précédent du 12 mars).
Les insurgés de Cyrénaïque étaient parés, par Paris et Londres, des plus hautes vertus démocratiques, propres à séduire les
Occidentaux.
Au fil des semaines, d'autres réalités sont apparues…
L’implication de BHL auprès de N. Sarkozy pose question : quelles compétences comme géo politologue peut-il bien
avoir ?
BHL, sa réputation de philosophe dilettante hantant les salons parisiens à la mode, n’est plus à faire
auprès de citoyens sérieux qui réfléchissent !
Qui sont réellement ces insurgés du CNT ? Pourquoi cet empressement occidental suspect à reconnaître cet organisme comme représentant du
Peuple libyen alors qu’un gouvernement légal existe en Libye ?
Sur ce point le rapport "Libye : un
avenir incertain", rendu public en juin, donne quelques éléments de réponse. La mission d'évaluation indépendante menée par le Centre international de recherche et
d'études sur le terrorisme et d'aide aux victimes du terrorisme (Ciret-AVT) et le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) conteste le caractère démocratique et
spontané de la révolte libyenne de l’Est du pays.
Obama, Cameron et Sarkozy semblent avoir fait preuve d’un manque de discernement et d’un grand aventurisme en
s’engageant dans cette équipée criminelle et ruineuse…
... Ou bien ???
Pourquoi cet acharnement contre Kadhafi ?
Un article d’Internationalnews : " Un Africain dénonce les mensonges de la guerre
contre la Libye" en analyse quelques motifs pertinents... L’auteur Jean-Paul Pougala est un écrivain d’origine camerounaise, directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et
professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse.
Libye : révolte populaire, guerre civile ou agression militaire ? Michel Collon analyse ce problème sur le site Investig’Action
Dans l’article "Libye : les leçons d’une guerre imbécile", publié par MEDIAPART (François Bonnet) le 17 juin 2011, on trouve quelques détails sur les membres
du CNT entres autres informations intéressantes.
Bien que Mouammar Kadhafi ne soit rien moins qu’un "saint", une grande partie de la population lui reste loyale, comme en témoignent les deux
dernières manifestations "monstre" : plus d’un million de personnes se sont rassemblées en masse à Tripoli sur la Place verte le 18 juin et le
1er juillet pour condamner l’agression de l’OTAN. Les Libyens, décidés à défendre leur patrie, ont fait une fête de ce dernier meeting d'environ
1 700 000 personnes...
"Les Libyens ont poursuivi la fête toute la nuit avec un superbe feu d’artifice qu’ils ont offert à l’Alliance atlantique en signe de paix ;
un spectacle déconcertant que les soldats occidentaux pouvaient apercevoir depuis leurs navires de débarquement mouillant au large."
Source : « 1er juillet 2011 : manifestation monstre à Tripoli », Réseau Voltaire, 2 juillet 2011,
www.voltairenet.org/a170704
Comment a évolué la Coalition contre la Libye et quelles réactions suscite son interprétation de la Résolution 1973 de l'ONU ?
> Des éléments de réponse ICI :
"Les divergences augmentent entre alliés, alors qu’en trois mois l’opération militaire aérienne conduite par l’Otan n’a
pas réussi à entraîner la chute de Muammar Kadhafi, soumis par ailleurs à des sanctions* internationales et de plus en plus isolé après les défections au sein du régime et le lâchage de ses
alliés."
30 juin 2011
* Par la Résolution 1970, le Conseil de Sécurité de l'ONU a instauré, à l'unanimité (!) dès le mois de février, des sanctions financières à l'encontre de Mouammar
Kadhafi et économiques contre la Libye qui constituent de véritables hold-up...
D'autres
éléments de réponse sur le Blog d'Eva R-sistons.
En date du 5
juillet 2011 on apprend que :
" L'action militaire de la France en Libye de
plus en plus critiquée"
Le Parlement français, enfin consulté, doit se prononcer mardi prochain 12 juillet 2011 sur l'engagement militaire français contre la Libye... Quelles en seront les conclusions ???
Lire les dernières nouvelles dans l'article suivant :
Évolution du conflit libyen depuis le 10 juillet
2011